Ce que j'ai sur moi C'est un bouquin. Le plus inspirant qu'il soit. Pas que tu sois particulièrement sensible à l'inspiration, t'es pas vraiment une créative, contrairement à certains, t'as les pieds trop ancrées sur cette foutue planète. Mais y'a quelque chose qui permet de t'envoler, c'est la littérature. Tu dévores des bouquins comme l'américain de base dévore le Ribs au Gril du coin (t'es pas en reste non plus là-dessus). Et celui qui t'as certainement le plus marqué, c'est 1984 d'Orwell. Parce que ce gars avait vu de loin toute la merde se pointer et personne n'a voulu le croire. Et parce que son bouquin, c'est un espoir aussi. Et t'aimes ça, l'espoir.
Ce qui fait de lui un être à part T'as, depuis enfant, été privilégiée sur un point ou deux. T'es née avec un fusil dans les bras ou presque. T'es née dans le pays où la NRA a plus d'abonnés qu'HBO. Le Texas, les flingues, Chuck Norris. C'est à ça que se résume l'héritage paternel. Même si t'es une fille - quel outrage pour le roi des machos-, il a décidé que ça valait le coup de t'apprendre à dézinguer ses canettes de Budweiser dans l'arrière cour sous un soleil de plomb pendant que les petits voisins partaient en Floride à Disney. Y'avait aucun intérêt à t'apprendre à tirer avec un fusil mais faut avouer que t'as su de débrouiller avec un calibre entre les mains. Et pour cause, paraît que ton ancêtre était un héros des Sudistes Confédérés pendant la guerre de Sécession. "Une fierté de la famille" selon ton père.
Ton redneck de père t'as aussi enseigné l'art de dire merde aux autres ploucs. C'était le patron d'une exploitation agricole, il t'as appris à la dure comment résister aux gens et c'est certainement de lui que tu tiens cette froideur des premiers abords, cette force de caractère qui te fait dire non à la plupart des trucs qu'on te demande, juste par défi ou parce que finalement, l'Humanité ne mérite pas ta clémence.
Ton talent pour la vente, tu ne sais pas d'où il vient mais les faits sont là : t'es une excellente parleuse, tu parles sans arrêt, t'embobines les gens, tu montes des coups à deux balles pour récupérer cinq dollars. Pas que tu en sois à cinq dollars, c'est juste pour te marrer. T'aimes parler, t'aimes manipuler et t'aimes vendre.
On dit même que tu pourrais persuader un assassin de te laisser en vie et de le persuader d'acheter ta montre.
Faits divers ◊ Déjà gamine, tu n'as jamais supporté qu'on te tienne tête. A trois ans, tu cognais déjà sur ceux qui osaient te voler ton jouet. Tu as même envoyé le petit Billy, le fils des voisins à l'hôpital parce qu'il voulait jouer avec ta poupée.
◊ Tu as très mal vécue ta jeunesse et la plus jeune partie de ton adolescence, des gamines t'ont fait vivre un enfer. Pas vraiment du harcèlement jusqu'au point de vouloir en finir, mais des grosses brutes épaisses écervelées qui te suivaient, qui te faisaient passer des mots. Aujourd'hui encore, tu ignores la raison de cet acharnement.
◊ T'as un sourire qui fait ta légende. Certains t'appellent "la gourde" et d'autres "la gamine aux dents blanches". T'as vraiment le sourire pendu aux lèvres. T'es pas heureuse, t'es tiraillée mais t'as le sourire comme un vêtement. T'es un charme, une épée dans la chausse d'une princesse. T'en veux au monde entier, t'en veux à la terre entière, t'en veux à t'en écrire des symphonies mais t'as le sourire. Sauf que ces derniers temps, devant les collègues du cinéma, cette façade s'effondre et t'arrives même plus à sourire. T'as pas eu la promotion que tu voulais et ça t'enrage tellement que même le sourire s'efface, même le vêtement se déchire et dans le creux des lèvres désormais closes, tu rêves de vengeance.
◊ T'as pas confiance en toi. Du moins, t'as pas confiance en tes talents sociaux, parce que pour ainsi dire, tu n'es dotée d'aucun semblant d'intégration. T'as envie, parfois, de partager des choses avec les gens, d'être membre de la communauté, de faire comme eux en somme. Mais c'est dur, ça t'écorche et tu retombes vite dans les bras de tes démons : la solitude. T'es peut-être trop égoïste, trop autocentrée mais il faut dire que les problèmes des autres, tu t'en fous.
◊ T'as une sœur et un frère. Concernant ta sœur, les choses sont assez simples : c'est une dingue avec laquelle tu refuses de te confronter. De ses dires, les légendes prennent vie et les fantômes sont des cousins. Avec elle, la Magie Noire est une réalité phobique, une chose aussi concrète que les factures de fin de mois. Il n'en est rien mais t'oses rien dire, t'as pas envie de te fâcher parce que la famille, c'est le sacré, le terrain sur lequel on n'attaque pas. Parole de catholique : aime ton prochain surtout si ton prochain est de ta famille.
Avec ton frère, les choses sont nettement plus compliquées. T'as été exemplaire, cédant à ses caprices de toxicomane, t'achetais ses cigarettes contre des belles paroles. Parce que t'avais certainement un cruel besoin de te sentir belle, de te sentir fille. Puis il s'est étiolé, ne faisant plus appel à tes services que de temps en temps. Puis plus du tout, et terriblement, le ressentiment se mit en place, œuvre du malin. Aujourd'hui encore, ton cœur est traversé par une drôle de mélancolie quand tu croises son regard vide.
◊ Tu regrettes de n'avoir aucun talent créatif. Ta sœur et ses idées dingues, ton frère et ses peintures. Toi et rien. T'es la plus terre à terre de la famille. Même en dieu tu perds la foi, au point de ne plus trop aller à l'église. Autrefois, au Texas, t'étais une des plus ferventes chrétiennes qu'il soit, espérant que le seigneur t'apporterait joie et surtout qu'il lancerait des éclairs de foudre sur la bande de pimbêches responsables de l'enfer de tes jours.
Les dits éclairs ne s'étant jamais manifestés, dieu s'est déplacé dans le coin de ta tête où tu ranges les "peut-être".
◊ Si tu souffres d'un manque évident et cruel de talent créatif, tu rattrapes tout ça par un amour pour la littérature et le cinéma. Ta place te permet de voir quantité de films et l'argent que tu gagnes passe dans de nombreux ouvrages. Tu t'intéresses à de nombreux ouvrages mais les romans d'horreur et les romans noirs restent tes lectures principales.
◊ Ta sexualité est assez libre. Débridée pour ainsi dire. Depuis que tu n'as plus le poids de harceleuses sur le dos, tu es enfin qui tu veux. Tu es bisexuelle mais les hommes ne t'intéressent plus vraiment, tes deux dernières relations ont été homosexuelles et les femmes ont ta préférence. La douceur de la peau, les mots que l'on n'a pas besoin de murmurer, les gestes qui sont automatiques. Tout te pousse vers les femmes. Si bien que tu demandes si finalement, les hommes ne sont pas qu'un moyen de te rassurer.
◊ Tu fumes plus que de raison. A deux paquets par jour, t'es consciente de te ruiner la santé mais finalement, tu t'en fiches pas mal. T'as déjà tenté d'arrêter à plusieurs reprises, trois ou quatre fois. La plus victorieuse tentative s'est déroulée sur une semaine et trois jours. T'aimes la nicotine, t'aimes l'odeur du tabac. T'es une fumeuse invétérée. Au lycée, t'as tenté les drogues mais t'es pas une fanatique, un pétard de temps en temps, pour te détendre.
◊ Tu as longuement été militante pour un groupe féministe mais tu perds un peu de ta superbe. T'en as marre de manifester sans être entendue, t'en as marre qu'on préfère toujours les hommes. Pour cette foutue promotion par exemple, parce que t'es persuadée qu'il s'agit de ça : un choix purement sexiste. Et c'est pas tolérable.